Nos voies lactées - extrait #13 Écriture : David Wahl

Anatolie

Çatal Höyük est situé en plein centre de la Turquie, au beau milieu des steppes d’Anatolie. Les steppes, c’est un océan de terre étale. Un endroit dur et beau. Un volcan gigantesque, le Mont Hassan domine le paysage plat, ce qui rend sa hauteur encore plus vertigineuse. On voit à perte de vue. Rien ne vient perturber l’horizon hormis le volcan. Le vent laboure la plaine immense. En hiver des trombes de neige éclairent l’humus sombre, en été des tornades créent comme des doigts pointant vers le ciel. Autrefois les caravansérails dérangeaient le paysage en le traversant de part en part. Aujourd’hui c’est le plastique. Il y en a partout. ça fait des taches de couleurs sur la terre. Ça choque au début. Beaucoup. Et puis on s’habitue. Et puis moi qui me suis excité sur des tessons d’argile, je me dis que ce plastique fera peut-être frémir de bonheur les archéologues du futur. Ça ne fera peut-être pas la matière d’une belle histoire, mais on se console comme on peut.

Pour arriver au site de fouille, nous devons traverser Konya, Iconium, du temps des Grecs et des Romains. C’est une grande ville, qui là aussi s’est enflée en peu de temps. En Turquie, 30% de la population est encore agricole, mais chaque année la classe moyenne augmente, nourrie d’un exode rural toujours plus important. Les villes doivent construire, construire, construire, souvent au détriment du charme exigu des centres villes. Alors on détruit beaucoup et on élève des tours, des tours partout. Konya est une ville importante. Deux grands mystiques s’y sont déployés, saint Paul pour les chrétiens qui fit de cette ville la première terre de mission du christianisme naissant, et Rumi pour les Musulmans, le fondateur du soufisme. La terre doit être bonne pour l’esprit. En Turquie, je l’ai déjà évoqué, il n’est pas d’endroit qui n’ait pas été touché par un mythe. C’est la terre de l’Histoire écrite aux portes de la légende, pour paraphraser Victor Hugo.

Dans la voiture, on avance comme on remonte dans le temps, ces paysages qui changent si vite , c’est comme des siècles qui passent à l’envers. Plus on avance et plus la nature se dépouille. Les montagnes se pèlent, les champs se dénudent, la végétation s’assèche. Tout devient jaune et brun, les arbres baissent de taille à mesure que les kilomètres s’ajoutent. On a l’impression que la nature se retire pour mieux laisser apparaître les vestiges pulvérisés du passé. Comme si les ruines décharnées des civilisations perdues, les traces dérisoires d’existences abolies, les monuments déconstruits par les millénaires, se devaient d’apparaître au milieu d’un paysage qui se refuse à les consoler.