Nos voies lactées - extrait #1 Écriture : David Wahl

Prologue

En 1921, dans le Jura, éclate une révolution mémorable. L’homme d’affaire Léon Bel, invente une nouvelle façon de faire du fromage. Au lieu d’utiliser la formule traditionnelle, qui recommande de traire une vache puis de transformer son lait, il récupère des chutes de gruyère et des restes d’autres fromages, et les mélange en les faisant fondre. Il obtient ainsi une pâte de très longue conservation produite en très grande quantité, faite à l’usine par des ouvriers, et non plus à la ferme par un paysan. Il demande à l’un de ses amis, Benjamin Rabier, l’ancêtre de la bande dessinée, d’en imaginer le packaging. Celui-ci croque alors une vache rouge dont le dessin fait naître du même coup le marketing, et rend célèbre en un temps record le nom de « Vache qui rit ». Assez vite, on enveloppe les petits triangles de fromages dans des pellicules d’aluminium, ce qui facilite leur conservation et leur usage individuel. Le succès est immédiat. Tout au long du XXème siècle, la recette s’améliore. La Vache qui rit devient alors un des aliments les plus résistants au temps et aux variations de température. Un fromage recyclé, sans date de péremption, qui n’a plus besoin de frigo pour être conservé. Souvent copiée mais jamais rattrapée, la Vache qui rit fait face tout au long de son histoire à des concurrents plus ou moins bien inspirés. Comme la société Grosjean par exemple, qui lance sa « Vache sérieuse » avec ce slogan « Le rire est le propre de l’homme ! Le sérieux le propre de la vache. La vache sérieuse, on la trouve dans les maisons sérieuses. » Sans se prononcer sur la juste psychologie d’une vache, on peut néanmoins assurer ceci : Le sérieux fait moins vendre, et la vache rouge et rigolote encorne ses rivaux les uns après les autres.