TREVAREZ I
Le domaine de Trévarez n’en est pas à sa première ferme expérimentale. C’est une terre particulière en Finistère, celle des révolutions agricoles, qui bouleversent la glèbe et ses travailleurs depuis plus de deux cents ans. En 1847 François et Louis de Kerjegu, de riches entrepreneurs bretons, achètent les terres de Trévarez, alors terre de landes et de pauvreté. Les deux frères, qui accueillent à bras ouvert la Révolution industrielle, avaient déjà travaillé à la modernisation du Port de commerce de Brest, et investit considérablement dans l’industrie du papier.
En achetant ces terres et fondant ce domaine, les frères Kerjegu désirent faire de la Bretagne une terre d’innovation agronomique. Passer de l’agriculture de subsistance à une agriculture raisonnée. À l’époque en effet, les rendements agricoles permettaient rarement aux paysans de dégager des surplus et donc des bénéfices. Ils mangeaient ce qu’il cultivaient, et fabriquaient ce dont ils avaient besoin. Une récolte trop faible pour commercer de quoique ce soit. Pas de ventes, pas d’argent. Et pas de création de richesse. Bref, un essor régional compromis.
Les frères Kerjegu, en fondant une ferme école, créent alors un institut de formation pour agriculteurs modernes. Ils font la promotion des engrais, des amendements organiques ou minéraux, des outils, des croisements d’espèces, et encouragent à de nouveaux semis et maraîchages.
On fait alors venir d’immenses quantités de terres, qu’on élève considérablement par endroit, qu’on abaisse en d’autres, on nivelle, on sculpte en relief, on plante des forêts, on dessine des vergers, on dresse des serres, on creuse des bassins de pisciculture, on constitue des troupeaux, et on déploie partout, comme on jetterait des tapis, de verts pâturages. Les travaux sont colossaux. Il s’agit de métamorphoser une terre âpre et caillouteuse, une lande inculte, en une campagne idéale. Et de montrer ainsi à quel point l’homme moderne peut transformer les sols et faire du moindre désert un délicieux et rentable jardin d’Eden.
Promenez-vous dans Trévarez, montez les collines, descendez les vallées, flânez sous l’ombrage de chênes centenaires, prêtez l’oreille aux symphonies des cours d’eau … Vous aurez du mal à croire qu’il y a deux cents ans, rien de tout cela n’existait. Ce qui semble être là depuis la nuit des temps, depuis la forêt impénétrable jusqu’au moindre rocher, tout cela sort de la paume divine de l’homme !
Tout dans ce domaine est une prouesse du genre humain.
Texte David Wahl
Photographie Sébastien Durand